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Le jour où... Le Mans aurait pu monter en L1 dix ans plus tôt

Et si Le Mans avait connu pour la première fois le niveau ultime du football français dès sept ans après sa création ? L’histoire du club aurait-elle été différente ? Il y a 30 ans aujourd'hui, le vendredi 24 avril 1992, le MUC 72 s’apprêtait à disputer le match le plus important de sa courte existence. Un barrage pouvant lui permettre d’atteindre la 1e division la saison suivante. Face à lui, un ogre : le RC Strasbourg. Retour sur ce match oublié.



En ce samedi 18 avril 1992, le stade Léon-Bollée est en fête. Vainqueurs (1-0) du FC Rouen devant plus de 4000 personnes, grâce à une tête de son attaquant Amara Traoré, les Sang & Or réalisent l’exploit d’accrocher la troisième place de leur groupe de D2. Qui plus est au nez et à la barbe du rival lavallois, tombé dans le même temps à Tours (3-2). Ce n’est que la 3e fois de la saison que les hommes de Christian Létard montent sur le podium (après les 26e et 27e journées). Mais c’est au bon moment.


Rien d’usurpé toutefois au vu de la brillante saison réalisée par les Mucistes. Loin, très loin des ambitions mesurées du mois de juillet précédent, qui annonçaient plutôt une âpre lutte pour le maintien. Il faut dire que ce n’est que le deuxième exercice consécutif du club à ce niveau (le 3e au total) et que l’année précédente s’était achevée à la 14e place.


Mais il est des saisons où l’osmose d’un collectif prend le meilleur sur le niveau intrinsèque. C’est le cas pour le MUC version 91-92. Une équipe centrée sur un groupe de seize hommes principalement. Parmi eux : Christian Penaud, Joël Bossis, Eric Villa, Jean-Marc Rodolphe, Régis Beunardeau ou encore Daniel Caron, tous sont des titulaires indiscutables. Jamais classé au-delà de la 8e place, l’équipe du président Merdrignac, sans jamais affoler les compteurs, a toujours répondu présente. 11 victoires, 15 nuls pour seulement 6 défaites. Le bilan est plus qu’honorable et comme les concurrents directs (hormis Valenciennes et Angers) n’ont pu se détacher, c’est avec brio et opportunisme que les Sarthois s’installent à la 3e place au soir de la 34e journée.



C’est donc un ticket inespéré pour les "prébarrages" qui est offert au MUC72. Début d’un parcours du combattant potentiel toutefois pour rêver à la 1e division. Il faut d’abord affronter le 2e du groupe B de Division 2 sur un match sec, avant pourquoi pas d’aller défier en aller-retour l’autre vainqueur des prébarrages puis à nouveau le 18e de D1.


Et l’adversaire qui va s’opposer aux Mucistes n’a rien d’une proie facile, au contraire. Car c’est le RC Strasbourg qui a finalement terminé second de son groupe, derrière Bordeaux. Mais un second plus que solide qui a cumulé 20 victoires pour seulement 5 défaites. Si la fin de saison a été plus mitigée côté alsacien, l’objectif de la montée est assumé et ne laisse pas de place au doute. Surtout qu’il s’agit de la 4e année consécutive où le RCS passe par la case barrage. Relégué en 1989 après une défaite face à Brest, les Strasbourgeois avaient cédé à nouveau lors de cette étape en 1990 face à Nice puis en 1991 face à Lens.


Pour tenter de retrouver le premier niveau, on a fait appel au mythe, à la légende du club: Gilbert Gress. L’entraineur avec qui les Alsaciens ont remporté le seul et unique titre de champion de France en 1979. Qui d’autre que lui pour redonner du lustre à cette équipe ?


Ajoutez à cela une pelletée de joueurs ayant déjà le vécu et le talent du niveau supérieur: Frank Leboeuf (passé par Laval), Yvon Pouliquen (leader au classement des étoiles de France Football et devenu capitaine en cours de saison) mais aussi Marc Keller (Mulhouse), Jacky Paillard (ex-Toulouse), Eric Mura (finaliste de C1 avec Marseille), ou encore Stephen Keshi (ex-Anderlecht)… Pas étonnant dès lors que le club bas-rhinois performe dans sa poule.


Honneur au mieux classé des deux, c’est sur l’excellente pelouse de La Meinau que le match aura lieu. Et ce n’est pas anodin tant le stade strasbourgeois est une citadelle imprenable cette saison-là. Les chiffres sont affolants : 17 matchs, 15 victoires et 2 nuls… 51 buts marqués contre 8 concédés. Difficile de faire mieux.


Cette affiche est en tout cas inédite. C’est bien la première fois de l’histoire que les deux clubs s’affrontent. Et la seconde opposition n’aura lieu qu’en 2001… Les Sarthois découvrent la Meinau l’avant-veille du match. Ils se préparent tranquillement par un footing sur le terrain d’entrainement du club strasbourgeois. La veille est consacrée essentiellement à la séance vidéo. Christian Létard, le coach sarthois, a emmené avec lui 15 hommes, soit deux de plus que nécessaire, pour parer à toute éventualité.


Pour ce 37e match de la saison côté MUC, la lumière est braquée comme rarement sur le club. 16 616 spectateurs sont présents. Il s’agit alors de la plus forte affluence de l’histoire pour un match impliquant Le Mans. La télévision s’invite également. La chaine câblée TV Sport diffuse en effet en direct la rencontre. Enfin, le sifflet est attribué à une pointure de l’arbitrage, Monsieur Alain Sars.


Comment dès lors aborder tactiquement cette rencontre ? Pour l’entraineur sarthois, la recette est simple: on ne change pas le système qui a fait la force du club toute la saison. L’idée est de ne pas jouer trop bas et d’essayer de contrôler le ballon au milieu. Mais le capitaine muciste, Régis Beunardeau, a déjà pressenti les événements en avance: "Nous allons subir un véritable siège (…) l’important c’est de ne pas prendre de but au départ". L’idée est clairement d’arriver à la pause à égalité dans l’espoir de faire douter les adversaires, et dès lors exploiter leurs moindres failles pour réaliser le casse parfait.


© OF du 24/04/1992

Le XI de départ muciste sera identique aux deux derniers matchs. Devant le gardien Jean-Marc Rodolphe, la défense de fer mancelle sera comme à l’habitude composée de la charnière Albert Falette/Eric Villa, avec Christian Penaud et Rodolphe Elmira sur les côtés. Au milieu, Régis Beunardeau sera associé à Daniel Caron, Jean-Luc Gautier et Joël Bossis. Enfin, devant confiance est de nouveau accordée au tandem africain Amara Traoré/Oumar Ben Salah (l’Ivoirien est le meilleur buteur du club cette saison-là avec 10 réalisations). Stéphane Béasse et Daniel Xavier complètent l’effectif sur le banc. Non retenus, Manuel Lerat et Régis Garrault assisteront finalement à la rencontre depuis les tribunes.


Pas de surprise côté alsacien non plus. Seul Jean-Jacques Etamé est finalement absent, touché l’avant-veille du match à l’entrainement. Frank Leboeuf revient dans le XI après une entorse de la cheville.


Le scénario du match se déroule exactement comme l’avaient prévu, et craint, les Manceaux. Sous un temps estival (24°), c’est un véritable siège du camp muciste qui est effectué par les hommes de Gilbert Gress. Au bout de trois minutes de jeu, le RCS a déjà 3 corners à son actif, c’est dire.


Les occasions s’enchainent naturellement. Marc Keller est stoppé in extremis par Falette (8’), puis c’est José Cobos qui se voit opposé au roc manceau (13’). A la 15’, Didier Monczuk, le meilleur buteur de la saison régulière (21 buts) manque le coche après un service de Paillard. La minute suivante voit Jean-Marc Rodolphe s’interposer dans les pieds de Leboeuf. Le gardien sang & or doit encore s’illustrer sur une parade à la 20’ après un nouveau tir de Keller, puis cinq minutes plus tard sur un missile des 30 mètres d’Oliver Dall’Oglio. A la 26’, c’est Monczuk, à nouveau, qui rate l’immanquable devant le but vide.


Cette première mi-temps est un vrai calvaire pour les Sarthois. Ils ne passent la ligne médiane qu’à 3 ou 4 reprises, pour une maigre offensive signée Daniel Caron (39’). Mais ils tiennent toujours bon. Le plan de Christian Létard fonctionne… jusqu’à cette fatale 40e minute. C’est le futur champion du monde Frank Leboeuf qui joue le détonateur en débordant sur le côté gauche de la défense mancelle. Il entre dans la surface pour adresser un centre à Didier Monczuk. Cette-fois ci l’avant-centre ne se rate pas et malgré l’intervention de Rodolphe qui touche le ballon, ce dernier rentre dans le but. Strasbourg 1-0 Le Mans


Les efforts des Mucistes sont donc anéantis. Et c’est sans grande surprise que le couperet tombe de nouveau juste avant la mi-temps. A nouveau dans le rôle du passeur, Frank Leboeuf est virevoltant. Il lance Jean-François Perron dans l’axe, qui est séché par Rodolphe Elmira. M. Sars n’hésite pas et siffle un penalty. Trois ans auparavant, Jean-Marc Rodolphe, alors gardien de Metz, était sorti vainqueur de son face-à-face avec Didier Monczuk, qui jouait pour Auxerre. Pas de bis repetita malheureusement. Le goleador formé à Angers transforme l’essai, signant au passage un doublé. Strasbourg 2-0 Le Mans


La déception est cruelle. Les espoirs d’un exploit sont désormais un simple souvenir. Le plus important alors est de ne pas s’effondrer complètement pour ne pas prendre une valise et éviter la déroute. Mais la défense sarthoise, pourtant si précieuse tout au long de la saison (avec une moyenne de 0,76 but encaissé, il s’agit du meilleur ratio de l’histoire du club à ce jour), est aux abois dans ce match.


A la 57e, Perron arrache de nouveau le ballon aux défenseurs manceaux pour filer au but. Cette fois, c’est Eric Villa qui se rend coupable d’une faute que l’arbitre ne peut faire semblant de ne pas voir. Un nouveau penalty donc, et c’est José Cobos qui se charge de le tirer, avec succès. Strasbourg 3-0 Le Mans


Fort heureusement, les Alsaciens vont ensuite relâcher naturellement la pression, le score étant acquis. Les Manceaux peuvent alors tenter quelques assauts sur le but de Sylvain Sansone, notamment grâce à plusieurs corners. Amara Traoré tente une tête, Jean-Luc Gautier un tir. En vain. A la 78e minute du match, Albert Falette effectue un débordement sur la gauche. Le long de la ligne de sortie de but, il fait face à Cyriaque Didaux, qui glisse malencontreusement et touche le ballon du bras. Penalty, juge M. Sars. Décision sans doute sévère mais qui vient probablement compenser les décisions précédentes dans la partie. C’est Eric Villa qui aura l’honneur d’être l’unique buteur manceau du jour, pour sa 2e réalisation de la saison. Strasbourg 3-1 Le Mans


Le dernier quart d’heure ne changera rien. Les Manceaux n’arriveront pas à instiller le doute et c’est bien les Strasbourgeois qui finiront le plus fort, mais manqueront, par maladresse ou imprécision, d’alourdir encore la marque.


© OF du 25/04/1992

C’en est donc fini de l’aventure sarthoise et des rêves inavoués de Première Division. Christian Létard était plutôt de bonne composition après match : "Je suis content de la tenue de mon équipe (…) Si nous avions pu tenir 10 minutes de plus, nous les aurions surement fait douter".


Quant au gardien manceau, il n'avait rien à redire au résultat final : "Je termine épuisé. J’ai rarement subi un tel feu nourri. Ça allait plus vite, plus haut, plus loin que nous". Il accepte le fait de s’incliner, sans regrets. Mais le capitaine Régis Beunardeau était un peu moins satisfait de la prestation de ses coéquipiers et regrettait plutôt le manque de risque pris. C’est du reste un procès en frilosité qui va longtemps être accolé au coach sarthois. Alors que celui-ci n’a pas encore resigné de contrat à ce moment (ce sera fait quelques semaines plus tard), il lui sera toutefois expressément demandé d’adopter un style de jeu un peu plus offensif pour l’avenir.


Ce match aura en tout cas démontré l’écart assommant entre les deux clubs. L’un taillé pour jouer en Ligue 1, l’autre arrivé là un peu par hasard. Les dirigeants mucistes notamment prennent bien conscience que si l’objectif à long terme du club étendard sarthois est d’atteindre le premier niveau, il faudra mettre les bouchées doubles. Strasbourg, c’est un budget trois fois plus important, c’est un stade superbe pouvant contenir jusqu’à 40 000 personnes, ce sont des joueurs expérimentés et talentueux et une tactique portée vers l’offensive. De quoi donc donner des pistes sur la prochaine stratégie sportive du club...


Et après ce match ? Si les fidèles suiveurs sarthois ne verront plus sous le maillot de leur équipe favorite Jean-Marc Rodolphe, Rodolphe Elmira et Amara Traoré, le reste des Manceaux ne part pas en vacances pour autant. Se présente à eux une compétition non officielle mais très lucrative appelée Coupe de la Ligue. Pour sa 2e édition, les Sarthois vont sombrer complètement avec 4 défaites consécutives dans leur poule, avant de relever la tête lors du dernier match pour une victoire de prestige face à un PSG bis (4-2).

Après ce qui est alors la plus belle saison de l’histoire du club, les lendemains seront moins idylliques. Toujours drivés par Létard, le MUC ne peut rééditer sa performance la saison suivante. Les Sang & Or terminent 5e de leur groupe, accédant alors à la nouvelle génération de la compétition qui s’appellera Super D2. Et il faudra finalement attendre plus de 10 ans, et cette saison 2002-2003 survolée, pour que les rêves de Ligue 1 se réalisent enfin. Il faudra aussi patienter jusqu’en 2019 pour que le club sarthois dispute de nouveau un barrage, cette fois entre le National et la L2, avec le succès que l’on connait.


Strasbourg, lui, continuera avec brio le marathon de l’accession, en disposant d’Angers puis de Rennes. La saison suivante les verra même finir à une magnifique 8e place de D1, un classement jamais retrouvé… jusqu’à cette année. Le club alsacien connaitra toutefois un premier accroc avec une nouvelle descente en 2001, puis de nombreux malheurs enchainant chute sportive, redressement et liquidation judiciaire avant la résurrection… une situation que les Sarthois connaitront partiellement également quelques années plus tard.


© OF du 27/04/1992



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